Les nouveaux otages politiques du pouvoir
Comment on fabrique un « coupable » par la peur, les médias et les arrestations
spectacles
Il est des moments où l’État cesse d’être un arbitre pour se transformer en massue. Non pas en vertu de la loi, mais selon un scénario préétabli. Non pas au nom de la justice, mais au nom de la peur. La Bulgarie traverse précisément un tel moment.
La saga entourant les arrestations et les accusations portées contre les proches d’Ivelin Mihaylov — un comptable souffrant d’une forme sévère de diabète, un avocat et des collaborateurs ayant bâti pendant des années le projet « Parc Historique » — n’est pas une simple procédure pénale. Il s’agit d’une action politique ostentatoire, dirigée non seulement contre des individus, mais contre un sujet politique qui a osé s’opposer frontalement au modèle de pouvoir établi.
Del’enquête au spectacle
Formellement, l’enquête couvre une période débutant en 2013. C’est un fait clé, obstinément balayé sous le tapis des insinuations médiatiques. En 2013, le parti « Velichie » (Grandeur) n’existait pas. Il n’existait ni comme sujet politique, ni comme organisation, ni même comme idée dans l’espace public. Le parti n’a même pas trois ans d’existence.
Et pourtant, dès les premiers titres, dès les premières interventions télévisées, dès les commentaires des soi-disant « experts », « Velichie » est étiqueté comme complice. Non par des preuves, mais par association. Non par des faits, mais par la répétition. Le point de contact n’est pas juridique, mais personnel : le président du groupe parlementaire, Ivelin Mihaylov.
C’est une technique classique : glisser de la procédure pénale vers la culpabilité politique, sans procès, sans jugement, sans droit de défense dans les médias.
Qui sont les véritables cibles ?
Les personnes arrêtées ne sont pas des oligarques. Ce ne sont pas des magnats de l’offshore.
Ce ne sont pas des courtiers du pouvoir intouchables. Ce sont des administrateurs, des comptables, des avocats, des gens issus du noyau opérationnel d’un projet qui — qu’on l’apprécie ou non — est devenu le symbole d’un récit alternatif sur l’histoire, l’identité et l’indépendance économique. Le cas du comptable atteint d’une maladie diabétique aiguë est particulièrement cynique : détenu de manière spectaculaire, sans égard pour son état de santé.
Ce n’est pas de la justice. C’est de l’intimidation.
L’artillerie médiatique : l’insinuation comme verdict La campagne médiatique ne cherche pas de réponses. Elle cherche de l’effet.
Les éléments de langage clés sont clairement identifiables : « pyramide financière » — sans décision de justice ; « groupe criminel organisé » — avant même que le tribunal ne se soit prononcé ; « liens russes » — sans preuve publique, mais avec une charge anxiogène maximale ; « Velichie » comme parapluie politique — malgré l’absurdité chronologique. Il s’agit d’une pré-condamnation médiatique dont le but n’est pas d’informer, mais de délégitimer.
La saga de la détention des proches d’Ivelin Mihaylov est devenue l’élément central d’une opération répressive de démonstration de force qui, par sa nature, dépasse le cadre d’une procédure pénale ordinaire. Le 26 novembre 2025, la Commission anti-corruption, le Parquetde la ville de Sofia et le ministère de l’Intérieur ont mené une action d’envergure, accompagnée de 37 perquisitions et saisies à Sofia, Varna, Shumen, Pazardzhik et dans le village de Neofit Rilski — y compris dans des domiciles privés, des voitures, des locaux commerciaux et au siège du parti « Velichie ». À la suite de cette action, neuf personnes liées au projet « Parc Historique » et à son activité économique de longue date ont été arrêtées.
Nikolay H., Zhivko V., Plamen K., Anatoli S., Biser S., Nikolay K. et Emil E. ont été mis en examen, accusés de participation à un groupe criminel organisé, de détournements de fonds, d’escroquerie et de blanchiment d’argent, dans le cadre d’une enquête couvrant la période de 2013 à 2025.
Le 29 novembre 2025, le Tribunal de la ville de Sofia a examiné les mesures de coercition à l’encontre des détenus. Bien que la procédure soit en phase pré-sentencielle, sans acte d’accusation déposé et sans culpabilité établie par un tribunal, la cour a ordonné la mesure la plus sévère — la « détention provisoire » — pour sept des accusés, acceptant sans critique les thèses du parquet sur le « risque de fuite » et la « possibilité de récidive ». Seules deux des personnes arrêtées ont été libérées, mais avec des restrictions procédurales imposées aucomptable. Lors de l’audience, ni l’état de santé de certains accusés, ni leur rôle individuel, nile fait qu’une grande partie des actions incriminées datent de plus d’une décennie n’ont étépris en compte sur le fond. Ainsi, l’arrestation s’est transformée en peine anticipée, et lamesure judiciaire en instrument de démonstration de force et d’intimidation, légitimant l’attaque médiatique et politique déjà déployée contre le « Parc Historique » et le parti «Velichie ».
Le contexte politique qui coïncide « par hasard »
Cette action ne survient pas dans un vide politique. Elle intervient après une campagne ouverte de « Velichie » contre Boyko Borissov et Delyan Peevski, dépeints non sans raison comme les « porcs de la politique » — symboles des coulisses impunies, de la mainmise oligarchique, du pouvoir sans morale.
Elle survient six mois après des actions publiques qui ont posé le dilemme moral de manière abrupte : le peuple ou les porcs au pouvoir. Et c’est précisément au moment où cette ligne commence à mobiliser le mécontentement public que le coup est porté — non pas sur les idées, mais sur les personnes qui les entourent. Non pas sur les arguments, mais sur les biographies. Non pas sur la politique, mais par la peur.
Tentative de démantèlement d’un groupe parlementaire
Le véritable objectif transparaît clairement : intimider les collaborateurs ; démoraliser l’électorat ; préparer le terrain pour la levée des immunités ; briser le groupe parlementaire de « Velichie ».
Ce n’est pas une technologie nouvelle. C’est un racket politique bien connu, appliqué depuis des années — sous différents noms, mais avec les mêmes metteurs en scène.
L’État contre son propre peupleIl existe une limite au-delà de laquelle l’État cesse de remplir ses fonctions de garant des droits et de la sécurité des citoyens pour commencer à agir comme une force hostile envers la société elle-même. Cette limite n’est pas franchie d’un coup, mais progressivement — par des actions apparemment « légales », par une rigueur procédurale, par un langage institutionnel derrière lequel se cache l’arbitraire.
Lorsque les enquêtes pénales se transforment en spectacles médiatiques, mis en scène de manière à ce que l’insinuation précède les faits et que l’accusation devance le tribunal, la justice ne sert plus la vérité. Elle sert la peur. Lorsque les journaux télévisés du matin prononcent des verdicts que les décisions de justice ne font que rattraper, la présomption d’innocence est anéantie, réduite à une formule vide. La déchéance morale est encore plus profonde lorsque des personnes malades sont utilisées comme monnaie d’échange dans une démonstration de force étatique. Lorsque des états de santé graves sont ignorés, lorsque la dignité humaine cède la place à l’ostentation, l’arrestation cesse d’être une mesure procédurale pour devenir un rituel punitif. Ce n’est pas la rigueur de la loi — c’est une leçon, adressée non seulement aux détenus, mais à tous ceux qui regardent. Le moment où un parti politique tout entier est déclaré coupable d’événements antérieurs à sa création est particulièrement révélateur. C’est une absurdité logique, mais aussi quelque chose de bien plus dangereux : l’effacement conscient des frontières temporelles, juridiques et politiques pour fabriquer un ennemi commode. Ainsi, la responsabilité politique est remplacée par la culpabilité collective, et le droit par l’accusation associative.
Àce stade, la lutte contre la corruption s’autodévore. Elle dégénère en corruption de la justice elle-même — une corruption non pas nécessairement par l’argent, mais par l’influence, la peur et la soumission. Lorsque les institutions commencent à servir non pas la loi, mais l’intérêt politique du moment, l’État n’est plus neutre. Il est partie prenante. Et plus précisément — du côté des forts contre les sans-défense.
Aujourd’hui, les otages sont les proches d’Ivelin Mihaylov — comptables, avocats, collaborateurs, administrateurs. Mais demain, ce modèle pourra être appliqué contre quiconque osera briser le silence, pointer nommément les véritables centres de pouvoir, appeler les porcs par leur vrai nom. L’histoire montre que la répression ne s’arrête jamais à sa première victime.
C’est pourquoi le dilemme moral n’est plus abstrait, ni symbolique. Il est historiquement clair et douloureusement concret : soit le peuple récupérera l’État — en redonnant son sens à la justice, à la liberté d’expression et à la dignité humaine — soit les « porcs » achèveront non seulement une formation politique, mais l’idée même d’un État où la loi est au-dessus de la peur..







